L’HISTOIRE DE L’AUTOMOBILE

DES ORIGINES À 1900

IL n’est pas nécessaire d’avoir connu personnellement l’Homme des Cavernes pour être certain qu’au terme d’une longue marche, il se sentait bien fatigué ! Et que faisait-il, une fois assis, les jambes étendues, à l’entrée de sa caverne ? Il réfléchissait. Oui, il réfléchissait, ce brave homme, au moyen de se mouvoir en économisant ses forces... Oh ! il ne se pressait pas : il a réfléchi comme ça pendant des siècles. Mais de cette méditation de piéton fourbu allait sortir, un jour, une découverte formidable : la roue !

Formidable, le mot n’est pas trop fort. Car, avec la roue, le problème de la locomotion terrestre était résolu d’un seul coup. Roue très ancienne et qui pourtant demeure, aujourd’hui encore, l’élément essentiel de tout engin se mouvant sur le sol. L’inventeur n’est pas connu. Et c’est dommage car il mériterait une fameuse statue.

Le premier pas était donc fait, dans la recherche d’un système ayant justement pour but de faire moins de pas. Le deuxième allait être la construction de la charpente placée sur les roues et capable de transporter une charge quelconque : ce qu’on appelle aujourd’hui le « châssis ». Quant au troisième pas, il consistait à remplacer la traction humaine par la traction animale. En effet, ayant décidé d’économiser ses propres forces, l’homme avait commencé par utiliser celles de ses semblables, puis celles de ses frères inférieurs (le cheval en particulier) et pendant des centaines d’années, ce mode de transport – la voiture remorquée par une bête de trait – représenta le sommet du confort.

Enfin, quatrième et dernier pas sur ce chemin du progrès où jamais ne s’arrête l’homme : la voiture indépendante qui se propulserait d’elle-même. Mais pour cela, que fallait-il ? Un moteur.

Ce moteur, l’homme a fini par en équiper la voiture. Mais combien de millénaires après la découverte de la roue ! De la roue à la voiture, peu de temps s’est écoulé. Mais de la traction animale à l’automobile, quelle distance ! Le cheval de charrette a eu la vie longue. Il était, comme on dit, entré dans les moeurs. Aussi, quand – pour le remplacer – l’homme disposa d’un moteur, il demeura fort perplexe. La traction chevaline était une si vieille habitude ; tant d’intérêts matériels étaient liés à ce moyen de transport naturel, c’était le gagne-pain de tant de gens ! Mettre le cheval à la retraite, vous imaginez quelle révolution ! L’homme hésita : lui qui, au temps de l’invention de la roue, eût accueilli avec enthousiasme le moteur, voilà que le progrès lui faisait peur... Heureusement il se reprit. Lentement, péniblement, il adapta le moteur à la voiture. Et cette voiture qui, au début, était encore une voiture à chevaux mais... sans chevaux, devint peu à peu une nouvelle machine, répondant mieux à l’assemblage roues-moteur : ce fut l’automobile.

On peut donc considérer l’automobile comme la conséquence suprême de l’invention de la roue. On peut aussi avancer que l’homme qui, le premier, songea à faire rouler un tronc d’arbre et à en extraire la roue, fut le précurseur de l’automobile. Cette dernière, pourtant, ne peut être rangée tout bonnement à la suite de la voiture à bras et de la diligence, Car l’apparition du moteur a produit une cassure décisive, comparable à celles qui, dans l’histoire des peuples, séparent l’Ancien Régime du Nouveau.

L’automobile elle-même a connu deux âges bien distincts : celui du véhicule motorisé issu directement des voitures à chevaux ; et celui de l’automobile proprement dite, spécialement construite comme telle. Mais ici, la différence est beaucoup moins nette : l’interpénétration de ces deux périodes est telle qu’il est impossible de marquer d’un trait précis la frontière entre la « charrette à moteur » et l’automobile vraiment digne de ce nom. Il y a là un « flou » qui exige de traiter en semble ces deux époques. Il faut admettre – et nous l’avons admis – dans l’Histoire de l’Automobile, aussi bien les antiques diligences à vapeur que les fringantes coursières à pétrole de la fin du XIXe siècle.

Résumons-nous : l’automobile n’est pas née brusquement. Elle est le résultat de lentes recherches, de tâtonnements, de transformations et d’améliorations constantes, de tout un long processus dont le point de départ est la roue. Mais, ceci dit, l’auteur de chacune de ces découvertes doit-il être considéré, dans une certaine mesure, comme un des inventeurs de l’automobile ? Pas exactement, car les authentiques inventeurs de l’automobile ne sont qu’une poignée d’hommes.

Hommes exceptionnels, qui se nomment Cugnot, Gurney, Hancock, Lenoir, Bollée, de Dion-Bouton, Daimler, Panhard, Ford... Ceux-là, et quelques autres, furent les chefs de file. Et, à côté de cette élite, il y eut ceux, moins inspirés ou moins doués, dont la renommée est moins éclatante, parce que leurs travaux furent moins précis, leurs découvertes moins sensationnelles. D’autres hommes qui se sont donnés à leur tâche avec un désintéressement total, une foi absolue. Ceux-là méritent aussi d’avoir leur place dans cette Histoire de l’Automobile, qui apparaît comme une chaîne glorieuse de labeurs et de recherches.

Aux temps héroïques, quand l’automobile, en était à ses débuts, l’existence de ces précurseurs fut vraiment extraordinaire. Peu d’hommes ont rencontré tant d’incompréhension et même d’hostilité que les pionniers de la " voiture sans chevaux ". Presque tous s’acharnèrent jusqu’à l’extrême limite de leurs possibilités. Leur courage et leur persévérance eurent rarement leur récompense. Beaucoup même furent finalement ruinés, ridiculisés, abattus pour toujours ! Et pourtant, il s’en trouva chaque fois d’autres pour reprendre le flambeau et continuer la chaîne. Leur obstination prenait sa source dans leur intime conviction d’avoir raison... lorsque chacun leur donnait tort.

Cette période impitoyable pour les pionniers de l’automobile fut certes la plus émouvante, la plus épique. Pourtant, la science avançait, défrichait, ouvrant de larges horizons. Les masses, toujours lentes à suivre les véritables hommes de génie, devenaient peu à peu moins agressives, tout en continuant à traiter l’automobile en parente pauvre. Puis, leur hostilité pour " les mécaniques sans chevaux " se mua lentement en scepticisme amusé jusqu’au jour où quelques esprits imaginatifs eurent la magnifique inspiration d’organiser les premières courses automobiles...

« Du pain et des jeux ». L’éternel instinct de la foule allait, en ce qui concerne « les jeux », être satisfait. Du coup, C’était Le succès pour l’automobile. Le public, avide de sensations fortes, venait se masser le long des pistes réservées aux ébats des premiers « bolides ». Est-ce à dire que le nouveau mode de locomotion s’imposa dès lors aisément ? Non, car il fallait que « l’idée » fasse son chemin, Elle bousculait des habitudes si tenaces ! Même durant la décade 1890 à 1900, qui fut l’âge d’or des pionniers, où la fièvre de l’automobile s’emparait chaque jour davantage des esprits, la foule se montrait curieuse, mais versatile : prête à hurler d’enthousiasme devant la performance sportive, mais aussi prompte à huer la mécanique défaillante. Ce fut l’époque où certains constructeurs – qui procédaient (souvent de nuit !) aux essais d’un nouvel engin dans les parages de leur atelier – furent baptisés « dynamiteurs de quartiers » !

Reconnaissons qu’ils incommodaient quelque peu le voisinage avec leurs machines pétaradantes, effrayant les chevaux, écrasant les poules, terrorisant les vieilles filles, et donnant des cauchemars aux petits enfants ! Les mécaniques d’alors étaient en vérité des « monstres » fumants, vibrants, grinçants, qui ne pouvaient rallier d’emblée la sympathie générale ! Ils ne la gagneraient, peu à peu, qu’en parvenant à se discipliner, à se civiliser.

Ce fut là l’incessant labeur des pionniers. Pour eux, chaque départ était une aventure, un saut dans l’inconnu ; et chaque arrivée, une gageure. D’avance, ils acceptaient les pannes avec philosophie ; on serait tenté d’écrire qu’ils les attendaient avec une secrète excitation, car à chaque incident mécanique devaient correspondre un remède, un perfectionnement.

Époque vraiment héroïque : la « voiture sans chevaux » n’avait droit de cité que dans de très rares villes, là où la mentalité des édiles était particulièrement progressiste... Partout ailleurs, la police la traquait, l’expulsait, arrêtait son conducteur. Dans les campagnes, les paysans donnaient la chasse avec ... piques et faux à ces « engins du diable ». Mais, grâce à une poignée d’hommes qui acceptèrent des vicissitudes infinies, se dépensèrent sans compter et souvent perdirent fortune et santé, l’automobile a enfin obtenu sa victoire.